samedi 18 avril 2009

Travail d'artiste

« Des constructions (…) très précaires qui tiennent le coup, entre autres, par le fond narratif qui les tisse. »(1)
Parle-t-on de politique ? Cela se pourrait. On aurait alors affaire à une belle définition de la langue de bois, de message vide de sens, face à un ratage. Évidemment, j’extirpe ces mots de leur contexte afin d’illustrer mon propos, et je m’essaie au cut-up mais lorsque les spécialistes essaient de justifier le « travail » incompréhensible d’un artiste, ils utilisent trop souvent ce genre de phrases. L’artiste a des préoccupations, il s’interroge, il questionne et nous restons pris avec le questionnement du torturé des méninges.
L’art doit être clair et se suffire. Il doit générer l’émotion, l’admiration, la reconnaissance de références. L’art est langage, ce n’est pas une charade, encore moins un discours d’initiés. Un public cultivé reconnaîtra plus de références qu’un autre, mais le rôle attirant et rassembleur de l’art devrait rester l’essentielle préoccupation de l’artiste.
Un aspect qui me gêne encore plus est le langage introspectif du crucifié qui étale ses tripes au soleil. « Les maux ne valent que par la qualité de ceux qui les expriment » et cette qualité-là sous-entend une dignité empreinte de pudeur. Il faut s’appeler Picasso pour dévoiler Guernica.

(1) Jérôme Delgado, le Devoir, 29 mars 2009 p.E8
(2) d’après la citation d’Alain Genestar, ex dir.Paris Match « Les mots historiques ne valent que par la qualité de ceux qui les prononcent »

vendredi 10 avril 2009

De quoi j'me mêle

Ma langue est bien trop belle pour être mise dans n’importe quelle bouche.

J’ai toujours cru que, plus on parle de langues, plus on comprend le monde. La guerre des langues en Belgique, au Québec, en Suisse, au Pays Basque, en Catalogne trouble les relations internes et gâche la construction identitaire.
Pierre Falardeau voudrait que nous regardions ailleurs pour tirer des leçons de liberté,(1) mais surtout pas en versions originales. Pouah !
Le monde entier devrait-il parler français pour être recevable ? – Notre langue est bien trop belle pour être mise dans toutes les bouches – Bien trop complexe pour tous les esprits. Si le monde entier baragouine l’anglais sans que personne – sauf Shakespeare – ne s’en formalise, c’est que la syntaxe en est simple. Je n’ai pas dit simpliste – Il y a chez les British des subtilités savoureuses. Mais le français est un art en soi. Une dentelle fine.
Le danger pour les québécois n’est pas d’être entourés d’anglophones, c’est d’être sous cultivés dans leur propre langue; c’est de laisser aller le français à vau-l’eau et de se rebiffer quand on le leur fait remarquer. Se donner la peine d’apprendre et de transmettre, de valoriser, de préserver le patrimoine identitaire, c’est d’abord se donner la peine d’apprendre, de transmettre, de valoriser, de préserver la richesse de la langue que l’on revendique. On dirait que le Québécois est dérangé par l’anglais et gêné par le français. Qu’il s’agisse de ces deux langues ou de leurs représentants. Vis-à-vis des Français, le Québec oscille entre l’admiration béate et le rejet viscéral. Entre le piédestal sans fondement et la jalousie haineuse. Passant de l’un à l’autre extrême sans nuance. À l’image des saisons qui le façonnent, le Québécois, quand il ne triche pas en Floride, est un être brut de presse, souvent attachant, rarement attaché. Ici, l’éphémère est un vent fou sans direction.

(1) Pierre Falardeau, Rien n’est plus précieux que la liberté et l’indépendance 2009 – Ed.VLB

mercredi 1 avril 2009

La charrue avant les boeufs

Bricolage institutionnel
Prenez un artisan qui apprend son métier. On lui donne un outil, on lui apprend à s’en servir, à le régler, à l’entretenir, à l’améliorer (bis). Il devient un expert en manipulation et va pouvoir transmettre son expertise à des jeunes. Il leur donne des outils, leur apprend à s’en servir, à les régler, à les entretenir, à les améliorer (bis). Il encourage ses élèves, les loue, les félicite, car lui-même a connu de « bons maîtres ». À la fin de l’année, il exposera leurs travaux, que parents et amis viendront admirer. Le journal local aura dépêché un de ses stagiaires et pris la même photo que l’an passé : dans l’ordre habituel, M. Machin, Mme Truc, M. le Maire, les élèves Jonathan, Fabien, Pierre-Luc…Les jeunes, qui n’ont connu que louanges et lâche pas se croient arrivés et on s’étonnera ensuite que le mot artisan au Québec soit dévalué. C’est que l’enseignement fait fausse route. Dilué dans une éducation sirupeuse, l’enseignement a oublié la matière. Confondre l’outil et le bois, le progrès et l’aboutissement, transmettre aux générations futures une discipline laudative issue du développement personnel, amènent une culture d’autosatisfaction. Chômage et petits boulots sont au rendez-vous. Loin des écoles, les ministres cherchent des solutions en se gardant bien d’entrer dans le vif du sujet. Le système continue à former des éducateurs plutôt que des instructeurs. Les cours du soir pour adultes repêchés sont donnés par des PhD, Mba et autres diplômés universitaires, tandis que dans le circuit normal la médiocrité peut être transmise par des bacheliers en éducation.

TRACESMag