lundi 8 mars 2010

Dernière lecture au coin du feu

Et vous, qu’avez-vous lu, ce mois-ci ?...
Pour la Saint-Valentin, mon amoureux m’a offert le dernier Dany Laferrière. Beaucoup entendu parler. Jamais lu. On ne rattrapera jamais assez le temps perdu. J’ai d’abord tordu le nez, je n’aime pas les romans et la quatrième de couverture ne m’a pas emballée. Mais, comme je suis curieuse et qu’un cadeau mérite attention, j’ai ouvert en me disant qu’au pire il rejoindra les nombreux autres, jamais finis par manque d’intérêt. Des haïkus, pour commencer, je sens que je vais m’ennuyer ferme. Comme quoi les a priori ne demandent qu’à se laisser convaincre du contraire :
- J’ai dévoré ce livre que j’ai pris pour un carnet de voyage, un livre de poésie, un album photos, un recueil de pensées, un essai politique, tout sauf un roman, tout en étant consciente du fil ténu et rouge qui m’emmenait d’un point A à un point B : la trame de l’histoire. Lire ce livre quand tous les médias décrivent inlassablement les malheurs d’Haïti, provoque l’effet 3D tant recherché en ce moment. On s’entend que le livre est paru bien avant la catastrophe.
- Il y a dans cette écriture, la force d’un grand bonhomme sans fioriture, dont la maturité jaillit en sentences sans appel; le genre de bouquin qui pour moi foisonne de citations à retranscrire, tellement vraies, sensibles et intelligentes. Allez, juste une ou deux, pour vous donner l’eau à la bouche (mais soyez assez sage pour les remettre dans leur contexte en lisant le livre) :
« Avez-vous déjà pensé à une ville de plus de deux millions d’habitants dont la moitié crève littéralement de faim ? La chair humaine c’est aussi de la viande. Pendant combien de temps un tabou pourra-t-il tenir face à la nécessité ? »
« C’est quand même étonnant, cette absence de la faim comme thématique qui pourrait intéresser les artistes toujours en quête de sujets…. / Est-ce un sujet trop cru ? Le sexe s’étale sur tous les écrans de la planète…/Parce que cela ne concerne que des gens sans pouvoir d’achat.»

Et la page 128 : son numéro est resté gravé dans ma mémoire. Je l’ai surlignée de bout en bout. Elle déshabille furieusement les organismes humanitaires. Pourquoi pensez-vous qu’ils se disputent la place, lors d’un séisme ? Il y a sans doute en leur sein des âmes pures et charitables, mais combien sont-elles parmi les vautours ? C’est ce que je me disais en entendant les informations.
Comment vais-je vous expliquer, maintenant, que ce livre est un vrai poème, une ode à l’humanité ?...
Dany Laferrière – L’énigme du retour, roman, Boréal 2009, 290 pages

Tous nus et tous bronzés

Évidemment, si je ne voulais pas vivre nue, je ne choisirais pas d’émigrer chez les papous. Aussi, ne nous ont-ils jamais dit « Venez chez nous, dans le plus beau des pays, nous avons liberté d’expression et de religion. »
Liberté d’expression – pas sûr – il y a bien des choses que je ne peux pas dire, sous peine de perdre quelques subventions. Liberté de religion – oui – à condition que la minorité qui la pratique soit d’une visibilité reconnue ou pas trop visible. On ne veut pas de foulard ou de niqab mais on ouvre encore notre porte à des religieuses chrétiennes voilées pratiquant la mendicité. On ne leur dit pas, à celles-là, qu’elles ne sont pas intégrées. On les reconduit poliment à leurs prie-Dieu en leur expliquant que nos aumônes du mois se sont envolées pour Haïti.
Donc, notre liberté commence bien là où s’arrête celle des autres. Dans le monde entier, l’hégémonie de la race blanche (je vous choque ?) a été la plus vaste et la plus cruelle. On ne refera pas l’histoire. Nous nous croyons tellement supérieurs, nous faisons la guerre à tellement de peuples, sous des prétextes tellement fallacieux. À l’intérieur de nos pays –dits civilisés- est-il encore possible de tirer des leçons du passé ? Peut-on considérer que « les autres », ceux dont nous ne connaissons rien et dont nous aurions beaucoup à apprendre, peuvent vivre dans nos immenses contrées sans que nous les laminions ? Au moins, les a-t-on prévenus qu’ils devraient vivre chez nous tout nus ? De quoi avons-nous peur ? Que toutes les petites québécoises se mettent à porter le hijab ? – Aucune chance, ici on montre son string, sa craque et son nombril.

À propos, à Montréal-Verdun un centre d’art a dû annuler une exposition de dessins de nus – très sobres, je vous rassure – sous prétexte qu’il y a une école dans le voisinage ! Cette leçon vaut bien un niqab, sans doute….

TRACESMag